Sud-Extrême de Madagascar, ambiance de comptoir
colonial, bout du monde ; laissez-moi vous guider dans les rues de Fort-Dauphin.
Coincée entre une chaine de montagne désertique et le
grand bleu, la ville de Fort-Dauphin a la forme d‘une main qui agripperait
désespérément l’Océan.
Face au centre ville, à droite du Fort-Flacourt (jadis
« le » Fort-Dauphin), l’immense baie Dauphine et bordée par un ourlet
de sable qui se prolonge en crêtes aux silhouettes fantastiques. Les Malgaches l’appellent
« la plage aux épaves ». Dans le vieux port, sur la plage, à quelques
mètres du rivage, les épaves sont partout et constituent une armada silencieuse.
Fort-Dauphin, dernière destination pour les vieux bateaux. Ils s’endorment
doucement allongés sur le sable chaud, se laissant rouiller en attendant les
pilleurs d’épaves et les ribambelles de gamins.
A gauche de la mairie, il y a le collège privé du
Sacré-Cœur avec sa majestueuse allée plantée d’arbres tropicaux. Si nous
continuions notre route nous arriverions certainement au cimetière de la ville.
Il est plein de missionnaires morts loin de leur Danemark ou de leur Allemagne
natale, d’administrateurs Bretons des colonies françaises, de femmes et
d’hommes aux noms d’un autre temps : Zelaïde, Ernestine, Hergéménilde,
Prosper,…
Sur une autre plage, à Libanona, les pêcheurs semblent
marcher sur l’eau. Ils s’avançant en équilibre avec leur canne sur les platiers
rocheux qui affleure à la recherche de langoustes. La pêche est fermée, mais il
y aura toujours un « riche » touriste pour en acheter une. « A
quoi bon ces interdictions ! Si je n’ai pas d’argent, comment vais-je
nourrir ma famille ? » riposte un pêcheur à une touriste écolo un peu
trop zélée.
Plus loin, au pied de la falaise, il y une femme,
enveloppé dans un tissu aux couleurs de Madagascar que le vent plaque contre
elle. Elle attend son mari, pêcheur, en proposant des colliers de coquillage
aux passants, puis trie son riz sur un grand plateau en aluminium
Plus loin encore, sur un cap, un groupe de maisons ont
l’air à l’abandon mais c’est une illusion. Ici, tout n’est qu’assoupi, endormi,
dans les vapes… Chaque paysage ressemble à une carte postale des temps
anciens ; un peu abîmé, légèrement patiné, écorné et griffé par le temps
et ses blessures. Comme ce bon vieux Fort-Flacourt dont la vie semble s’être figée
depuis la date inscrite sur l’entrée. 1652. A chaque instant les canons
pourraient se réveiller et pilonner une frégate anglaise sans que personne ne
soit surpris. On s’étonne de ne pas voir le drapeau fleurdelisé des rois de
France flotter au milieu des baraques poussiéreuses. La prison installée au-dessus-de l’Océan
Indien donne envie de devenir bagnard. On dirait qu’il suffit de pousser la
porte pour entrer et papoter avec les détenus. La femme du « Gardien-chef »
(un panneau sur la porte atteste fièrement et pompeusement de la fonction de l’occupant)
prépare son repas en souriant, avec un enfant qui regarde par la fenêtre et rigole.
La ville est molle, cotoneuse et indolente, comme
pétrifiée. Au milieu des canons rouillés
et des vieilles demeures créoles qui bordent la place centrale, je ferme les yeux
et imagine les bals d’antan. Des guirlandes de lampions, quelques instruments
mal accordés et des tonneaux de rhum ; le décor est planté. Les jeunes
officiers se disputent une danse avec la fille du gouverneur, les jeunes Malgaches
intimidées dans les bras des matelots bretons, les grandes dames dans leurs
toilettes parisiennes qui secouent machinalement leur éventail. Les fantômes de
ces danseurs sont toujours là, les dernières notes du bal ne se sont pas
envolées on peut encore les entendre rebondir sur les flots… J’aime ce parfum d’abandon, j’aime l’odeur
suave du passé.
Arrêt sur images. Croiser un vieux monsieur, en
costume des années 60, qui parle de Vercingétorix les yeux humides et connait
par cœur la longueur de la Loire. Regarder un groupe de petite fille danser la
Capucine les pieds-nus dans l’Océan Indien ou aider la Mère Michèle à retrouver
son chat. Soupirer devant un groupe de sexagénaire qui joue à la pétanque avec
des noix de coco un pastis à la main. Monter dans un taxi-2CV, submergé par
l’émotion, pour aller boire un Perrier
et grignoter un Paris-brest au « Bar Saint Louis ».
Sur la plage aux épaves où l’on revient sans cesse, attiré
par ces reliques d’un autre temps, les gosses sont toujours là, à escalader les
coques rouillées, à passer par les hublots cassés pour chercher encore et
toujours des trésors depuis longtemps envolés. « Akbary », c’est le nom d’un des bateaux
échoués sur lequel les vagues turquoises font des geysers. A FD, on revient sans cesse vers la mer, tout
n’est qu’écume et iode…
Assommé d’images, je retourne à mon hôtel dans une
atmosphère magique : une atmosphère rose baigne Fort-Dauphin et patine un peu
plus ces lieux indolents.
Le soir est tombé sur Fort-Dauphin et le porte-conteneur,
chargé de provisions pour alimenter les magasins, est arrivé dans la baie des
galions. Comme on ne le voit pas immédiatement dans l’obscurité, sa corne de
brume semble être celle des épaves qui renaissent les soirs de pleine lune.
Toutes ses minuscules images et leurs milliers de
sensations qui piquent comme des aiguilles, rejoignent ma boite à souvenir. Alors,
qui osera me rejoindre à Fort-Dauphin, pour des souvenirs sans fin ?