Vivre des élections présidentielles dans un pays dit du
« Tiers-Monde » est une expérience très enrichissante. Dire de la
situation politique de Mada qu’elle est complexe serait un euphémisme. Je vais
être honnête je n’ai pas
particulièrement étudié ce domaine, mais je pense que ce qui est entrain de se
passer est très intéressant.
Les faits (manière
bien prétentieuse de vous exposer ce que j’ai cru comprendre de la situation) :
-
- Il y a un président au pouvoir, je n‘ai pas trop
compris son statu. Certain disent que c’est un président illégitime, d’autres
qu’il fait partie d’un gouvernement de transition, mis en place pour éviter une
crise politique. (Je n’ai même pas cherché à démêler le « vrai » du « faux »).
- -
Les Malgaches sont unanimement d’accord sur ce
point, ces élections sont inespérées. Apparemment cela ferait « quatre-cinq
ans » (personne ne sait exactement) qu’on leur promet des élections
présidentielles, mais qui sont constamment repoussées un mois avant les
scrutins. Les Malgaches sont donc contents car les élections sont vendredis et
elles sont toujours à l’ordre du jour. J’ai remarqué qu’ils aimaient à
plaisanter entre eux sur la manière dont
les élections sont toujours reportées. Chez nous on dit « quand les poules
auront des dents », à Mada c’est « quand il y aura des
élections ».
-
-Vendredi prochain c’est le premier tour des
élections. Vendredi prochain sera donc intégralement chômé. On m’a dit que les
bars et restaurants étaient particulièrement visés par cette mesure. Le
gouvernement veut ainsi éviter les attroupements, et surtout la vente d’alcool
pour limiter au maximum les risques de débordements. Au fond ce n’est pas si
bête, en France quand il y a des matchs de foot on devrait aussi interdire la
vente d’alcool ; il y aurait moins de poubelles et voitures brulées…
- -
Des candidats je ne peux pas vous en dire
grand-chose. Certes il y a bien des affiches électorales placardées sur tous
les murs de la ville, mais mon cerveau n’a pas eu le courage d’enregistrer les
noms de famille malgaches, si réputés pour leur longueur. J’ai entendu parler
d’un gros « cafouillage » au sujet des candidats. Apparemment il y
avait 41 d’inscrits. Ici lorsque l’on va voter, le nom des candidats n‘est pas
marqué sur le bulletin, c’est un numéro. Donc pour ces élections, les bulletins
sont numérotés de 1 à 41. Les bulletins sont imprimés depuis des semaines, peut-être
même des mois, et sont en place dans les bureaux de vote. Or les 8 derniers
candidats de la liste (soit les numéros 33 à 41) se seraient désistés. Les
bureaux de vote dans les grandes villes en ont été avertis, ils ont d’ores et
déjà ôté les bulletins concernés. Cependant il est fortement à craindre que les
bureaux de vote « en brousse », dépourvus d’électricité et de moyens
de communication, ne reçoivent pas à temps l’information. Certains citoyens
voteront donc pour des candidats qui ne sont plus en lice…
- -
Les Malgaches, tout du moins ceux avec qui j’ai
discuté, sont extrêmement pessimistes. Certes ils se réjouissent de la tenue
d’élection présidentielle après de longues années de crises politiques ;
cependant ils ne se sentent pas du tout concernés, très peu ont l’intention
d’aller voter. En France, c’est la même chose, il n’y a qu’à voire le taux
d’absentéisme pour le constater, me direz-vous. Cependant je suis convaincu que
le problème n’est pas le même. En effet, ici c’est le sud de l’ile ; zone
mal desservie et isolée géographiquement du reste du pays ; Tana lieu de
résidence du président c’est un autre pays… et ce n’est pas une
hyperbole ! Bien qu’Etat-nation en théorie, Madagascar est divisé en une quinzaine de peuple ayant tous
des cultures, des traditions différentes, et entretenant tous des rivalités
ancestrales avec leurs voisins. A FD je suis en territoire Antanosy
(littéralement « ceux de l’ile ») ; Tana et sa région (si
on soustrait le cosmopolitisme propre aux capitales) sont peuplées par les
Mérinas (ca je ne sais pas ce que cela signifie !). Les Mérinas jouissent
à Mada de la même réputation que Paris en province, cela vous donne une petite
idée… Pis, dans certaines régions les Mérinas sont considérés comme fady, mot utilisé dans le vocabulaire
religieux signifiant « tabou, délétère, malsain ». Mais cette
dialectique est renforcée par le fait que tous les présidents Malgaches jusqu’à
présent, sauf un, étaient d’ascendance Mérina. Des tentatives ont été faites
pour stimuler une « conscience républicaine » chez les Antanosy. Un
candidat, lors de son passage à FD, à demander à une star nationale,
d’ascendance Antanosy, de faire un concert avant son intervention, pour se
faire un électorat dans cette région vierge de toute tradition politique.
- -
Ni pesante, ni festive, il règne en ville une
ambiance particulière. Les rues de FD
(qui ont été pavées et affublées d’égouts quelques mois avant les élections…) sont
parcourus par des gros 4x4 japonais, surmontés d’énormes enceintes diffusant
des slogans politiques sur des aires de musique festive. C’est la
« propagande » -synonyme de « campagne présidentielle » en
français-malgache ! A la longue c’est fatiguant, ils font le tour de la
ville en permanence. Mais comme c’est une petite ville j’ai l’impression qu’ils
sont tout le temps dans notre rue. Le soir les élus locaux des différents
partis politiques réunissent la population sur la place centrale (la Place de
France !) pour les inciter à aller voter ce vendredi. Mais c’est aussi
extrêmement bruyant, je suis à 5 minutes en taxi du centre ville, mais pourtant
j’entends tout depuis ma chambre.
- -
Et vendredi comment ca va se passer ? Les
étrangers, les touristes, les expats et les membres du peuple Mérina sont « officiellement et instamment
priés » de ne pas sortir de chez eux de la journée.
-
-Ce qui me frappe le plus ce n’est pas l’ambiance
festive voulue par les candidats, ni mêmes les campagnes qui promettent « des
lendemains qui chantent », c’est la perte d’espoir dans la voix et le
regard des gens. Personne ne rit aux éclats avant les élections, pas même en
France, les enjeux sont trop importants, mais ici les regards sont habités par
un profond désespoir. Les Malgaches se sentent pris au piège, enfermés dans une
voie sans issue, prisonnier d’un destin qu’ils ne peuvent pas choisir. Aucune
confiance dans l’avenir n’est visible; peu importe le vainqueur ils savent que samedi midi ils auront
toujours moins à manger que vendredi soir, c’est leur seule et unique certitude…
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