Aujourd’hui est le jour du deuxième scrutin présidentiel, me
voilà donc cloîtré à la maison pour 24 heures. Sécurité oblige…
Je profite donc de cette oisiveté imposée pour rattraper le
retard et alimenter mon blog.
Il est un sujet dont j’aurais du traiter il y a bien
longtemps de cela, le rythme de vie. Je pense que c’est le facteur contribuant
le plus au dépaysement de l’Occidental, touriste ou expat, de passage à
Madagascar.
Avant mon départ, on m’avait conseillé de retenir l’axiome
malgache « mora mora » (moura moure), littéralement « tranquillement/
doucement ». Le proverbe enfantin « cool Raoul », me semble plus
adapté comme traduction. Plus qu’une simple devise qu’on écrit dans les guides touristiques
pour l’exotisme, il s’agit d’un véritable art de vivre. Ce que « inch’Allah »
est au Maghreb, « mora mora » est à Madagascar, indissociable.
Il n’y a pas d’électricité le soir en rentrant à la maison ?
« Mora mora ». Le courrier n’est pas arrivé aujourd’hui ? « Mora
mora ». J’attends 1H30 mon plat au restaurant ? « Mora mora ».
« Mora mora » est la réponse donnée à tout ce qui n’est pas explicable pour
/à un Occidentale. Pour un Français, continuellement dans le rush, à courir
après son bus, à voler de réunion en congrès, d’activités périscolaires en
préparations de kermesse, ce concept est incompréhensible.
Au premier abord cet art de vivre est plaisant, il donne le
ton. Madagascar est une ile paradisiaque, un parfum de vacance plane sur ses
plages, à quoi bon se prendre la tête !? Puis au bout de quelques semaines,
l’exotisme est remplacé par l’agacement. « J’ai commandé il y a une
demi-heure une bouteille d’eau, pourquoi n’est-elle pas arrivée ?! ».
« Mora mora ». Enfin la lassitude et la résignation s’installent. « A
quoi bon !? »
« Mora mora » a envahit tous les aspects de la vie
quotidienne, transformant Madagascar en un lieu d’atemporalité. Ici l’attente
est un art de vivre, presqu’un plaisir (sadique). Quelques exemples concrets
vous aideront à saisir le phénomène. Quand un serveur vous annonce que votre
rhum arrangé sera prêt « dans deux minutes missy », vous pouvez y
ajouter un 0 et vous avez l’heure ! Quand la poste annonce que le bureau
ouvre le matin à 8h, il faut comprendre : « l’employé partira de chez
lui à 8h ». Ainsi l’ouverture est proportionnelle à l’éloignement du domicile
du guichetier du bureau de poste. Quand le même bureau de poste annonce une
fermeture à 12h, cela signifie réellement que le guichetier sera chez lui à
midi, à vous de faire le calcul !
Il faut également que vous compreniez, que si le système de
mesure du temps est le même qu’Europe, le temps n’a pas la même valeur. Ainsi
la journée n’a pas la même amplitude dans ce coin du globe. La vie commence le
matin à 4H et se termine le soir à 18h. Mais ces heures n’ont pas la même portée
qu’en France. Par exemple quand la poste annonce une ouverture à 8h du matin,
ce n’est pas le même 8h qu’en France. Par rapport au rythme de vie il s’agit
plus d’un 10h français ! De même quand je décris ma soirée à un Malgache
en lui disant que je me suis couché à 22H, il me demande si j’ai des insomnies
ou des troubles du sommeil qui explique un couché si tardif !
La langue malgache est véhiculaire de cette nonchalance. Ce
n’est pas une langue qui claque comme un fouet, qui dévale en cascades ;
disons qu’il s’agit d’un ruisseau de plaine.
Quand en France un simple « oui », suffit à marquer l’approbation,
à Mada il faut attendre le temps d’un « èèèèèèèkkaaaaaaaa ».
Dans les rues, « mora mora » est roi. Le bruit des
savates qui frottent nonchalamment le goudron résonne contre les murs. Parfois
une femme assise devant son « étale » de litchi ouvre la bouche et articule
péniblement « liiitchiéééééééééé ». Un homme marche, puis d’un coup s’étale
de tout son long à l’ombre d’un mur et commence une sieste. C’est un spectacle
véritablement étrange que de marcher aux heures les plus chaudes dans le centre
ville. L’ « agitation » a disparu, tout le monde dort, ronfle et
grogne. Les bébés sont posés sur des feuilles de bananiers à l’ombre d’un
muret, les enfants dorment sous les taxis stationnés, et les femmes, enroulées
dans leurs paréos, dorment sur le goudron ou contre un zébu qui rumine
paisiblement.
A Madagascar, l’instant n’existe pas ; tout est une
question de durée. Certains y verraient une raison au sous-développement,
personnellement j’y vois un reste de la nonchalance coloniale.
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