mercredi 11 décembre 2013

Les professeurs


Comme j’ai le BAFA, on m’avait proposé d’animer une formation d’art plastique pour les professeurs de FD.

Le jour venu, quand je me suis retrouvé face à cette quarantaine de professeurs d’un certains âges j’ai eu de gros doutes. Moi jeune Français qui viens éduquer les professeurs du coin,… Je me disais intérieurement « au mieux ils vont me prendre pour un débile de croire leur apprendre à faire du bricolage, au pire ils vont tous partir énervés de s’être déplacés pour rien » 

Dans ma tête la formation que je proposais ce n’était pas pour leur apprendre quoique ce soit, mais c’était plus dans l’optique « ce que vous avez pu faire étant gamin, il faut que vous reproduisiez ça dans vos classes »

J’ai débuté la formation en leur proposant de faire des guirlandes de papiers pour Noël, vous savez il faut découper des bandes de papier et ensuite les attacher ensemble de façon à faire une sorte de chaine.  Je pensais que ça serait une activité toute simple, histoire de s’échauffer avant de passer aux choses sérieuses, sorte de mise en bouche. 

Au début de l’activité je donne la consigne « il faut découper des bandes de papier de 2cm de large ». Ils me regardent tous avec des yeux de merlan frit, ils ne bougent pas d’un pouce. Je lance « allez-y au travail », pas de réaction, … Je décide de commencer à découper mes bandes de papiers pour donner le mouvement, et rien ! C’est là que je comprends qu’ils ne savaient pas couper du papier avec des ciseaux ! Ce qui devait être un atelier de guirlande de Noël s’est finalement, transformé en atelier « je découpe le papier en suivant le trait » !

Mesurant les lacunes techniques des professeurs j’ai compris la gravité de la situation et aie du baisser les ambitions de mon programme d’activité. L’activité suivante s’est donc transformée en atelier coloriage «  je dessine une maison, et je la colorie sans dépasser ni laisser de blanc ». Après j’ai du leur apprendre que lorsqu’on utilise un feutre ou de la colle, il faut remettre le bouchon, « sinon ça sèche ».

Ils étaient tous très impliqués dans la formation, et avaient une vraie soif d’apprendre. Nous avons donc fait des pliages (chapeau, bateau et salière), des colliers de perles, des œufs de Pâques, des drapeaux malgaches et des masques. L’activité masque a connu un succès inattendu.  Je leur ai proposé de mettre leurs mains à plat sur des feuilles cartonnées, d’en dessiner le contour pour faire les masques. Ils se sont tous amusés comme des fous ! Par contre cette activité a révélé deux autres problèmes de taille ! 

  • ·         60% des profs ne parvenaient pas à écarter leurs doigts les uns des autres simultanément ! J’ai donc été obligé de leur dire de se scotcher les doigts sur le papier pour les tenir écartés.
  • ·         Autres problèmes de taille comment expliquer aux personnes mutilées des mains, qu’en conséquence leur masque de pieuvre ne pourra avoir 10 tentacules mais que 7…
Un petit détail lors de cette activité masque m’a beaucoup amusé, même si a bien à y réfléchir c’est dramatique. J’avais dessiné au tableau des masques que je décorais au fil de mon inspiration. Il y en avait un que j’avais orné d’une foule d’hermine multicolore. Les quarante professeurs ont reproduit exactement le même motif. Une des professeures présentes s’est même excusée, car elle n’avait pas eu la place de mettre le même nombre d’hermine que moi, il en manquait deux ! Mon coté Breton était très content de la tournure de cette activité, j’avais « appris », malgré moi, à cette quarantaine de Malgache à dessiner des hermines ! Et je suis sur que lorsqu’ils vont mettre en pratique ces activités dans leurs classes, tous leurs élèves vont apprendre à faire des hermines. Mais au fond ça révèle leur incapacité à faire preuve d’imagination et à réaliser par eux-mêmes et c’est triste !

Tout ce que j’ai écrit ci-dessus je ne le dis pas méchamment, j’avais l’impression d’être instituteur en petite section. Ces professeurs parlent très bien français, sont très compétents dans les autres matières et surtout très dévoués envers leurs élèves, mais la formation que j’ai dispensée était aussi improbable à leurs yeux que si on demandait du jour au lendemain aux professeurs de mathématiques d’enseigner le chinois. Je ne vous ai pas raconté tout cela pour me moquer d’eux, mais juste pour vous montrer que le « sous-développement » ce n’est pas forcément vivre dans une case et ne rien manger de la journée, mais c’est surtout la difficulté à véhiculer l’information et l’absence de socle culturel commun avec l’Occident.

Ce que vous devez retenir des professeurs Malgaches c’est leur dévouement envers la cause professorale, qui frôle avec l’héroïsme

Ils sont tellement convaincus, et avec raisons, du bien fondé de leur Mission que tous les moyens sont bons. Je parlais avec une institutrice de CP, elle n’a pas de tableau dans sa classe du coup elle écrit tout ses cours avec son doigt sur la poussière du sol ! C’est ainsi qu’on apprend à lire et à écrire dans le Tiers-monde. Et il faut être conscient également que la majorité des professeurs reçoivent pour tout salaire un sac de riz et un litre d’huile par mois !

Plusieurs choses m’ont frappé au cours de cette journée. C’était touchant de voir les professeurs d’une cinquantaine d’année pleurer littéralement de joie quand ils ont fait pour la première fois leur bateau en papier ; c’était touchant de voire les maitresses faire du coloriage avec une attention inégalée comme si le sort du monde en dépendait ; mais surtout la plus belle récompense a été à la fin de la journée. Il fallait les voir emballer avec beaucoup d’attention et de fierté leurs bricolages de la journée pour les montrer à leur famille. Ils sont tous venus me remercier et un vieux monsieur m’a dit « merci beaucoup pendant une journée j’ai eu l’impression de devenir un VRAI enfant » …
 Les fameux masques avec des hermines en cours de réalisation
 Atelier œuf de Paques

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